Malade chronique porteuse de handicap invisible, laissée sans soins

Un peu tape à l’œil mon titre, mais c’est voulu. Je ne suis qu’une sur les bien plus de 6 millions de personnes n’ayant pas de médecin traitant – d’ailleurs ce serait pas mal dans un soucis de transparence de pouvoir avoir accès à une comptabilisation détaillée et fiable de l’étendue des dégâts dans ce pays! 8 mois que je cherche désespérément un nouveau médecin, avec des contraintes ne me permettant pas d’aller chercher la perle rare dans le département voisin ou sillonner toute la Creuse; j’ai fait tout ce qui a pu être conseillé par les médias ou les sources officielles, et bien plus encore, j’ai frappé à toutes les portes: résultat que dalle. Du coup j’ai bien envie de mettre quelques points sur les « i » en-dehors des réseaux sociaux, ne serait-ce que pour annoncer aux prochains malheureux malades abonnés à venir ce qui les attend lorsqu’à leur tour, leur toubib partira à la retraite sans trouver de successeur. Et ne croyez pas que ce phénomène se limite aux contrées de la cambrousse profonde, non: c’est partout, dans les grandes métropoles et banlieues comme à la campagne. Bref ce n’est qu’une question de temps et ça vous pend au nez à vous aussi.

Comme largement relayé dans les médias lorsque cela leur prend d’aborder le sujet, c’est tout d’abord plein d’espoir que l’on suit le « mode d’emploi » et que l’on commence par prévenir la Sécurité Sociale de la situation. C’est important car, vu la situation et l’ampleur des dégâts, ils maintiennent alors le taux de remboursement normal « le temps que l’on retrouve un autre médecin et pour ne pas être pénalisé parce que ce n’est pas de notre faute ». Pour ce faire, dans leur tambouille interne, ils attribuent un code médecin « fictif » à notre dossier d’assuré – enfin pas totalement fictif car ce code appartient bien à un médecin réel, sauf qu’il peut se trouver à l’autre bout du pays et que de toute façon on ne saura jamais qui c’est. Reste à savoir comment cela permet d’identifier et de comptabiliser dans leurs dossiers les malades effectivement sans médecin traitant… à moins que ça ne permette de minimiser les chiffres et de planquer la réalité sous le tapis? Et reste à savoir aussi pendant combien de temps ils nous feront cette fleur de maintenir un taux de remboursement normal… parce que c’est plutôt mal barré pour retrouver le moindre toubib dans un futur proche!

Après moult démarches et péripéties, coups de téléphones multiples se soldant invariablement par un « va te faire foutre et prière d’aller pleurer ailleurs » – non, je déconne, en vrai c’est ce disque rayé auquel on a droit: « le médecin ne prend pas de nouveaux patients, désolée » de la part de secrétaires à l’empathie variable ou d’opératrice de plateformes croisées Chatbot; on passe en toute logique à l’étape de la saisie du médiateur de la Sécu qui est censé nous aider (voir ici: https://www.ameli.fr/assure/droits-demarches/reclamation-mediation-voies-de-recours/saisir-mediateur#text_27404 ). Ce que je fais dès le mois de septembre dernier faute d’avoir un signe de vie d’un toubib contacté en août. Réponse immédiate de la CPAM, qui transfère ma demande à la « Mission Accompagnement Santé » censée me contacter rapidement: https://www.ameli.fr/creuse/assure/droits-demarches/difficultes-acces-droits-soins/mission-accompagnement-sante

Heureusement que j’ai relancé 3 semaines plus tard! On m’a enfin rappelée le lendemain matin, à peine si mon interlocutrice hyper-caféïnée me laisse expliquer mon cas et en placer une (surtout avec mon cerveau embrumé du matin!), puis elle m’énumère des conseils à deux francs et des solutions qui n’en sont pas que j’ai déjà exploitées:

  • consulter l’annuaire Ameli (qui bugue en live justement pendant leur coup de fil, même elle n’arrivait à rien) mais celui-ci n’indique pas si les médecins acceptent des nouveaux patients et calcule les distances à vol d’oiseau! Pratique quand ton handicap te limite pour la conduite!
  • consulter les plateformes Doctolib, Maiia, etc… où les médecins creusois réservent la prise de rendez-vous en ligne à la patientèle connue!
  • rappeler régulièrement les médecins des environs jusqu’à ce qu’il y ait un trou dans leur patientèle. « On ne sait jamais, dit-elle, il y a des gens qui déménagent. » « Ou qui meurent », dis-je. Gros blanc scandalisé au téléphone, et pourtant on en est là: surveiller les avis de décès par secteurs en espérant que ça fasse de la place (et au train où ça va, il y a de l’espoir!) OK mais sinon, ça les emmerderait de créer un système de liste d’attente – les Maisons de Santé notamment – et de prioriser les malades en ALD ou porteurs d’un handicap, puis de les rappeler? Plutôt que les obliger à passer leur vie au téléphone pour se faire envoyer paître, ce qui a tendance à flinguer encore plus le moral du malade en absence de soins!
  • Se rabattre sur les téléconsultations en pharmacie. Ce qui ne donne pas de médecin traitant attitré, ne permet pas la délivrance de certains médicaments, ni la gestion des paperasses: dossier MDPH, demande d’ALD, bons de transports, etc. Ce n’est PAS une solution.

C’est bien, la fonctionnaire de service a bien récité son texte, elle pourra sortir le même laïus au prochain patient en détresse et sans médecin et je lui souhaite bon courage pour quand elle devra donner ces foutus conseils à une personne âgée qui maîtrise mal internet. Là-dessus elle prétend qu’elle me rappellera pour savoir où j’en suis de mes démarches… J’attends toujours!

La Sécu a plein de petits services dans le genre, présentés comme la panacée mais d’une inefficacité parfaite. Il y a ça aussi: https://www.ameli.fr/creuse/assure/droits-demarches/difficultes-acces-droits-soins/organisations-coordonnees-territoriales France 3 en a parlé dans un reportage il y a quelques mois et, ils l’avaient déjà mentionné, la partie « où les trouver » n’est toujours pas à jour.

En désespoir de cause et après un passage en novembre à l’accueil médical de l’hôpital local pour un renouvellement d’ordonnance (bon gré, mal gré, ce n’est pas leur rôle à la base mais ai-je le choix), et puisque rappeler les secrétariats de médecins ne sert à que dalle car « c’est les médecins qui décident », j’ai ressorti la méthode ancienne début janvier avec l’envoi d’un courrier postal à 6 médecins des environs. Comment pourraient-il décider d’inclure un malade dans leur patientèle sans connaître leur problématique? J’avais de l’espoir. Zéro réponse. On repassera pour Hippocrate, l’empathie et la simple humanité!

Par la suite, mon assistante sociale et la MDPH où je passe déposer mon dossier de renouvellement me parlent de la DAC 23, service qui dépend de l’ARS Nouvelle-Aquitaine: https://www.nouvelle-aquitaine.ars.sante.fr/dispositifs-dappui-la-coordination-de-nouvelle-aquitaine-les-plateformes-territoriales-dappui Ni une ni deux j’appelle le numéro vert et réexplique mon cas à une personne très aimable. Cette fois-ci c’est une assistante sociale gérant mon secteur qui m’a rappelée… pour me dire qu’ils n’ont pas de solution. Qu’ils n’ont pas de passe-droit et n’arrivent même plus à caser même des personnes âgées malades chroniques. Que j’ai déjà fait énormément de démarches, et comme j’ai déjà fait appel à la Mission Accompagnement Santé ils vont les recontacter pour… qu’ils me recontactent. Le serpent qui se mange la queue.

8 mois de néant médical, de démerde et de système D, de grosses épées de Damoclès au-dessus de la tête (du genre la probable perte de mon ALD hors liste pour Lyme chronique en janvier prochain), et du temps perdu avec des chouettes petits services administratifs payés à rien foutre ou totalement impuissants.

Je ne suis qu’une sur les bien plus de 6 millions de personnes n’ayant pas de médecin traitant, une parmi les bien plus de 600 000 malades chroniques laissés sans soins. Nous ne faisons que remplir les statistiques de ceux qui se frottent les mains de la mise à mort du système de santé, ceux-là même qui auront sur les mains le sang des malades que l’on abandonne.

Bon courage à tous ceux qui traversent la même galère d’un bout à l’autre du pays!

© Elusive Reclusive

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